Pourquoi les fonds du plan de relance européen n’ont pas encore été débloqués

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Les conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19 attisent une impatience légitime à l’égard du plan de relance européen, dont les fonds n’ont pas encore été débloqués, près d’un an après la proposition de la Commission.

Ce plan, inédit dans son volume (750 milliards d’euros) comme dans sa philosophie (permettre à la Commission européenne d’emprunter sur les marchés pour faire des transferts budgétaires et des prêts aux États membres), repose sur une architecture institutionnelle complexe.

La clé de voûte juridique du plan de relance est la décision du Conseil sur le système des ressources propres du 14 décembre 2020, prévue à l’article 311 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Dans l’ordre juridique européen, ce texte a un rang de quasi traité. Il requiert l’approbation unanime des États membres selon leurs procédures constitutionnelles respectives, ce qui implique, dans la plupart des cas et notamment en France, une autorisation des parlements nationaux et donc le plein respect de la souveraineté nationale.

C’est ce même texte qui place le produit de l’emprunt venant abonder les politiques communes européennes hors balance budgétaire, en lui conférant le statut de « recette affectée externe ». Cette disposition permet de ne pas contrevenir au principe d’équilibre budgétaire, en application duquel l’Union ne peut pas souscrire d’emprunt dans le cadre de son budget.

Des procédures longues

Après l’éclatement de la crise, le temps de la décision politique a été rapide. L’initiative franco-allemande pour la relance européenne du 18 mai 2020 a ouvert la voie à la proposition de la Commission européenne du 27 mai.

Deux mois plus tard, le 21 juillet, les chefs d’État ou de gouvernement sont parvenus à un accord unanime au Conseil européen. Les négociations pour sceller un accord avec le Parlement européen sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 et le plan de relance Next Generation EU n’ont pris que quatre mois, un délai comparable à celui observé lors des négociations des deux précédents cadres financiers pluriannuels de l’Union européenne (cinq mois en 2006 et 2013).

Les décideurs européens se sont collectivement engagés à mener à leur terme les procédures nationales d’approbation de la décision sur le système des ressources propres dans les meilleurs délais. Ils étaient néanmoins bien conscients qu’elles pourraient être longues et semées d’embûches.

Les négociations avec le Parlement européen sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 ont duré quatre mois, un délai habituel dans ce type de procédure. Kenzo Tribouillard/AFP

À titre de comparaison, entre l’adoption de la décision du Conseil sur les ressources propres du 7 juin 2007 et son entrée en vigueur le 1ermars 2009, 21 mois auront été nécessaires pour assurer son approbation par tous les États membres. Ce délai a été porté à 28 mois pour la décision du 26 mai 2014.

À la date du 30 avril 2021, 19 États membres, dont la France, ont achevé le processus d’approbation de la décision sur le système des ressources du 14 décembre 2020. Les informations disponibles donnent à penser que les procédures sont sous contrôle et pourraient être finalisées avant la fin du mois de mai dans la plupart des autres pays.

Écueils en Allemagne et en Pologne

Entre-temps, deux écueils sont apparus. Le premier, de nature juridique en Allemagne, a pu être rapidement levé. La loi autorisant l’approbation de la décision sur les ressources a obtenu une solide majorité des deux tiers des membres au Bundestag et fait l’unanimité au Bundesrat.

Toutefois, l’introduction de deux recours visant à contester sa conformité avec les traités européens et la Constitution allemande avait conduit la Cour constitutionnelle fédérale le 26 mars 2021 à enjoindre le président fédéral à ne pas signer la loi. Si une telle interdiction avait été maintenue dans l’attente d’un jugement au fond, après une possible question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne, c’est tout l’édifice du plan de relance européen qui aurait pu être remis en cause, dans sa temporalité comme dans son principe.

Dans une ordonnance publiée le 21 avril, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté la demande d’injonction préliminaire dirigée contre la loi ratifiant la décision sur les ressources propres, permettant ainsi sa signature par le président fédéral.

Elle a considéré « sur la base d’un examen sommaire, (qu’)il ne semble pas très probable que la Cour conclue à une violation de l’article 79(3) de la Loi fondamentale dans la procédure principale ». Il est ressorti de son analyse des risques que « les conséquences qui se produiraient si l’interdiction provisoire demandée n’était pas délivrée, mais que l’acte d’approbation était ultérieurement jugé inconstitutionnel, sont moins graves que les conséquences qui se produiraient si l’interdiction provisoire était effectivement délivrée, mais que les plaintes constitutionnelles déposées par les requérants se révélaient finalement non fondées dans la procédure principale ».

L’issue du deuxième écueil, politique, demeure plus incertaine en Pologne. En effet, une petite formation membre de la majorité au pouvoir, Pologne unie, refuse de soutenir la décision sur les ressources propres, exacerbant un peu plus encore les tensions au sein de la coalition tripartite dirigée par le parti Droit et Justice (PiS) au point d’en mettre en danger l’existence.

Ce parti s’oppose en particulier au règlement ouvrant la possibilité de sanctionner un pays membre en cas de défaillance de l’État de droit pouvant porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union, règlement sur lequel la Pologne et la Hongrie ont d’ailleurs intenté un recours devant la Cour de Justice de l’Union européenne.

En Pologne, le gouvernement négocie actuellement l’approbation du plan de relance avec l’opposition. Janek Skarzynski/AFP

Pour des raisons exactement symétriques, le principal groupe d’opposition, la Plateforme civique, est enclin à ne pas voter le projet de loi tant que le gouvernement n’apporte pas de garanties suffisantes que l’argent de l’Union européenne dont la Pologne bénéficie sera dépensé de manière juste et transparente.

Le gouvernement se trouve donc contraint de négocier avec une autre formation d’opposition et ne devrait transmettre le dossier au Parlement que lorsqu’il disposera de la garantie qu’une majorité existe pour l’approuver. Des incertitudes de calendrier subsistent également en Hongrie, en lien aussi avec l’introduction de conditionnalités liées à l’État de droit. Les pressions exercées par les autres pays membres sont de plus en plus fortes car il en va de la capacité de l’Union européenne à mettre en œuvre son plan de relance.

Pas de retard, mais l’urgence

Parallèlement au processus de ratification, un travail intense est conduit dans les capitales et à Bruxelles. Les États membres devaient en effet transmettre avant le 30 avril la version finale de leur plan national de relance et de résilience. Or, seulement douze d’entre eux, dont la France, ont pu satisfaire cette exigence.

La Commission avait préalablement décidé d’assouplir ce délai pour permettre aux États de parfaire leurs plans dans le cadre du dialogue très pointilleux qu’elle a ouvert avec eux, plutôt que d’avoir à leur demander de les amender après leur transmission officielle.

La Commission entend ainsi veiller à ce que le plan de relance européen ne consiste pas simplement à injecter des liquidités dans l’économie mais permette bien, conformément au règlement établissant la Facilité pour la reprise et la résilience, de « renforcer le potentiel de croissance, la création d’emplois et la résilience économique, sociale et institutionnelle de l’État membre concerné », le tout devant être documenté par des indicateurs qui jalonneront les différentes étapes de sa mise en œuvre, en particulier les paiements.

Après leur transmission officielle, la Commission dispose d’un délai de deux mois pour évaluer les plans nationaux, avec une attention particulière à la cohérence des investissements publics et des réformes structurelles qui devront être mis en œuvre d’ici 2026 afin de relever les défis des transitions écologique (au minimum 37 % de l’enveloppe allouée à chaque État membre) et numérique (au moins 20 % de l’enveloppe). Le Conseil aura ensuite un mois pour approuver au cas par cas ces plans.

La Commission a également présenté le 14 avril sa stratégie de financement. Avec une enveloppe d’emprunt de l’ordre de 150 milliards d’euros par an, elle deviendra un des principaux émetteurs en euros. Elle entend recourir à une diversité d’instruments de financement (obligations à moyen et long terme, dont certaines seront émises sous la forme d’obligations vertes, et titres de créance à court terme) afin de maintenir une certaine souplesse en ce qui concerne l’accès au marché et de gérer les besoins de liquidité et le profil des échéances.

Elle procèdera via une combinaison d’adjudications et de syndications, afin de garantir un accès présentant un bon rapport coût-efficacité au financement nécessaire à des conditions avantageuses.

Préparer tout ce qui peut l’être pour pouvoir démarrer dès que les ratifications de la décision sur les ressources propres auront été complétées, accélérer pour que cette solidarité européenne sans précédent se matérialise, la mobilisation est totale, à Bruxelles comme dans les autres capitales européennes, car s’il n’y a pas encore de retard, il y a assurément urgence.

Stéphane Saurel, Maître de conférences invité, Université Saint-Louis de Bruxelles, Université catholique de Louvain

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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